mercredi 5 janvier 2011

Etude de la scène finale de Boy A.

♣  Un sentiment de compassion pour le personnage principal et  une impression de mal-être amplifié

Selon nous, la scène finale de l'adaptation cinématographique change quelque peu de celle du livre. Cependant, dans le roman comme dans le film, la fin reste tragique. C'est pendant la saison morte que Jack  se rend sur le quai de Blackpool ( ville côtière Britannique ) ...

On remarque tout d'abord le travelling suivant la marche de Jack, le personnage principal, le long du quai. L'on entend le bruit des vagues, venant  s'échouer sur la plage, des paroles indistinctes, peut être même quelques cris de mouettes, ainsi que quelques douces notes aiguës de piano. Sous un ciel clair et lumineux, Jack admire la vue.








Le ciel s'assombrit au fur et à mesure que Jack avance le long du quai. Des nuages gris assombrissent un peu la scène. La caméra se positionne dernière Jack et le suit, petit à petit. Des enfants tournent autour de lui et peuvent ainsi lui rappeler son enfance instable et tourmentée. Tout à gauche, nous pouvons remarquer une mère qui attrape son petit enfant à son l'approche, comme pour le protéger. Il doit se remémorer le crime qu'il a commis avec "Boy B" (le viol de la jeune fille puis son homicide volontaire). De nouveau, un travelling se fait vers la droite et on peut voir Jack de profil. Celui-ci boite toujours un peu mais continue son chemin vers le bout de la jetée.Il semble "irrésistiblement attiré par la jetée" (extrait pris dans le roman). Il va au sens inverse de tous les personnages qu'il croise. Il est comme un fantôme, personne ne s'occupe de lui. Le travelling suit de nouveau Jack, toujours de dos. Quand celui-ci arrive devant le carrousel il se retourne comme s'il ne voulait pas le regarder en face. Puis il reprend vite son chemin.
Ensuite, le travelling accompagne Jack et nous distinguons la mer, au bout de la jetée, de plus en plus nette. Le jeune homme avance toujours vers son but fatal. Le ciel s'assombrit, le personnage semble pensif, il est en plein questionnement intérieur.
Au bout de la jetée, Jack a une hallucination et voit apparaître Michelle, surnommée la baleine blanche. Seuls les deux personnages sont nets. A l'inverse, le paysage autour d'eux est flou. Lorsqu'ils discutent la caméra reste fixe. Par un champs contre-champs, le spectateur voit successivement Michelle et Jack. Il partage les mêmes sentiments que les deux personnages transmettent, dans leur regard, dans leurs mots.
La discussion se clôt lorsque Michelle demande au jeune homme s'il part du même coté qu'elle. Il répond que non. Pourtant le quai n'a pas d'autre issue. Le jour commence à se coucher lorsque l'on voit Jack assis sur un transat. Il ressort le dessin que lui avait fait la petite fille pour le remercier de l'avoir sauvée. La caméra effectue un zoom sur le dessin, puis sur la tête de Jack.
Il se remémore ensuite les messages vocaux qu'il a laissé à deux de ses amis, les seules personnes l'ayant aidé. Le sentiment de désespoir est amplifié par la musique triste lorsque l'on entend le message que Jack a laissé à Terry. Plongée sur Jack, on le voit d'en haut. Il garde les yeux fermés et il verse quelques larmes. Le personnage se trouve de l'autre coté de la barrière de sécurité, au bout de la jetée. La caméra descend ensuite vers la mer jusqu'à ne distinguer plus qu'une eau sombre.
Lorsque l'on entend le message vocal laissé à Chris, on découvre Jack qui pleure : "Tu te souviens de la petite fille ? Tu te souviens qu'on a sauvés cette petite fille mon pote ! Souviens-toi de ça".  Par un champs contre-champs, on voit alternativement l'eau sombre de la mer et le visage accablé de Jack.  

Jack verse une dernière larme qui clôture le film. Par un fondu au noir, le générique apparaît. Une note de piano grave, qui reste en suspend un petit moment, laisse deviner un dénouement tragique. Tout au long du visionnage, nous pouvons supposer ce destin. Le personnage se donne la mort, en sautant dans la mer froide et calme.



♣ Extrait du livre


"Il est enfin arrivé au bord de la mer.
La gare donne sur une route, le genre de route, qui inévitablement, mène quelque part. Qui vous incite, même si votre jambe proteste à chaque pas, à accélérer l'allure. Qui sent le sel et le sable, les chips et les sandwichs. Le graillon aussi, les mauvaises clopes et la barbe à papa. Le genre de route qui semble aller dans une seule direction, même si la circulation est à double sens. Tout va vers le bas, sur des routes pareilles. Tout va vers la mer.
Cette route là amène Jack sur une promenade, au bout de laquelle s'étend une jetée. "North Pier", lit-il sur une pancarte. Pour lui, c'est le signe d'un nouvel exploit : il a enfin atteint le nord d'une certaine manière. A la façon dont l'air lui emplit les poumons, il a l'impression d'avoir fait semblant de respirer jusque-là. L'air devrait toujours avoir cette qualité. C'est ainsi que le concevait celui qui l'a inventé, forcément.
Sur la gauche, Jack peut voir la tour de Black-pool. Non, à vrai dire, ce n'est pas qu'il peut la voir, mais plutôt qu'elle s'impose à sa vue. Elle exige l'attention. Immense, toute de poutrelles sombres, impunément phallique. Aime-moi ou va te faire foutre, proclame-t-elle.Comme tout à Blackpool, apparemment. Diseurs de bonne aventure, stands de fish and chips, casquettes et T-shirts ornés de slogans. Mais Jack est irrésistiblement  attiré par la jetée. C'est pour ça qu'il est venu.
Il longe une galerie de jeux qui fait de la réclame pour ses toilettes gratuites et d'où s'échappe le bruit d'une cascade de pièces de monnaie.
Un bruit si assourdissant que Jack le suppose diffusé par des haut-parleurs. A moins que tout ne soit amplifié a Blackpool? La jetée elle même semble se déployer sur des kilomètres. On peut même prendre un petit train pour aller jusqu'au bout. Mais en dépit de sa jambe douloureuse, Jack tient à la parcourir à pied.
Il passe devant un castelet "Punch and Judy" abandonné à la morte-saison. Il n'a jamais vu le spectacle mais il connaît les thèmes : difformité, violence domestique, infanticide. Parfait pour les gosses, quoi.
La mer, visible par les interstices des planches, s'agite en dessous de Jack. elle l'appelle, frappe à la porte, l'invite à jouer avec elle. Sa mère répondrait qu'il n'est pas là, elle dirait que c'est trop dangereux. Mais voilà, sa mère est partie. il est tout seul à la maison. en tout cas , c'est vrai que l'air marin est revigorant. Son genou guérit un peu plus à chaque pas, Jack en est certain. Les plaies de son âmes cicatrisent, son humeur s'allège. il ne s'agit plus de faire un choix à présent. Non, il s'agit de renoncer au choix. De laisser à la mer le soin de décider à sa place. Il arrive à un certains moments qu'on ne veuille plus rien du tout. Plus rien, nada, que dalle, zéro. Il comprend soudain que ce ne sont pas les vides qui posent problème. Non, c'est le contenu. C'est ce qu'on met qui crée les trous. pour une fois, il aimerait se sentir complètement dépouillé. Réduit à sa plus simple expression, comme Jésus en fil de barbelé le jour de l'enterrement de sa mère.  Une représentation  qui lui avait paru cruelle sur le moment, mais dont il perçoit aujourd'hui toute l'authenticité.
Des bateaux sont amarrés à des flotteurs, à une certaine distance de la jetée. Des petits hors-bord blanc . il y a sûrement des couvertures à bord, peut-être aussi des provisions. S'il réussit à nager, se dit Jack, il essaiera d'en rejoindre un. Il a appris comment faire démarrer un moteur en bricolant les fils de contact. De plus, ces canots doivent être faciles à manœuvrer. Et il ne risque pas d'avoir un accident ; il a toute l'immensité de l'océan pour apprendre à conduire, pour réfléchir à une destination dans le monde. Rien ne l'empêchera de mettre le cap sur la France, par exemple. De mettre le cap n'importe où. On ne le rattrapera jamais s'il a un bateau.
Et si il coule, eh bien c'est que les choses ne devaient pas se passer ainsi. En cette magnifique journée au bord de  la mer , il se sent libre. Délivré des remords et de la tristesse. Il a connu l'amour, il a eu un travail, il s'est fait des amis, il a découvert le sexe, il a sauvé une vie. Il ne pourrait y avoir d'endroit ou de moment mieux choisi pour mourir.
On dit que la noyade, c'est la meilleure façon de partir. Si on doit s'en aller autant choisir cette solution- là. Il se voit recouvert d'eau salée, descendant en vrille vers les fonds sableux. Pour peu que les vagues aient un goût aussi agréable que leur odeur, ce ne sera pas si terrible. Oui, c'est sûrement la meilleure façon.
Il escalade la grille au bout de la jetée et fait passé en premier sa jambe blessée de l'autre côté. Il se dépêche, de crainte qu'on ne l'aperçoive. Il ne veut pas qu'on puisse le sauver ou l'empêcher d'atteindre son but. Il a déjà repéré son bateau ; ce n'est pas le plus grand ni le plus luxueux, mais  c'est celui qui lui plaît le plus. Celui dans lequel il s'imagine blotti.
Les baskets le gêneraient dans sa tentative pour nager. Il refuse de donner ainsi l'avantage à la noyade. Alors, il s'en débarrasse à coups de pieds. D'abord une puis l'autre. Il les regarde s'enfoncer dans la mer. Avant de tortiller ses orteils pour ôter  aussi ses chaussettes. Elles mettent plus longtemps à disparaître sous la surface, lui donnant une idée plus précise de la profondeur réelle. Mais il est sûr de survivre à la dégringolade elle même. C'est l'asphyxie qui risque d'avoir sa peau.
il s'immobilise sur le dernier barreau de la grille, savourant le moment où il doit rassembler ses forces. son élan vers le large le prend presque au dépourvu. Pas de compte à rebours. Il a sauté, c'est tout.
C'est un bond magnifique, il n'en doute pas. Sur fond de soleil. Loin de l'ultime avant-poste d'un pays qui le hait. Bien au-dessus de la jetée. Plus haut qu'il ne l'était au départ.
et puis comme il le pensait, il arrive à ce moment, après l'ascension mais juste avant la chute, où tout s'arrête. Il ne tombe pas, il ne vole pas non plus. Durant un instant, le temps semble suspendu. Bien sûr, ça ne dure pas aussi longtemps que dans les dessins animés. Peut-être moins d'une seconde. Mais c'est suffisant pour se demander, les bras tendus et les pieds serrés, s'il ne vaudrait pas mieux cesser de lutter une bonne fois pour toutes."