Etudes de scènes.




Étude de la scène de Boy A.
Des sentiments amplifiés dans les dernières minutes 


Selon nous, la scène finale de l'adaptation cinématographique est celle qui diffère le plus du livre. En effet le film se termine sur des scènes choquantes et marquantes. Elles restent ainsi gravées dans la mémoire du spectateur. Au cinéma, les images et les faits sont plus mémorables que de "simples" mots. Ce genre de scènes amplifie les sentiments du spectateur et les pousse à la réflexion.
A l'inverse, l'atmosphère est pesante tout au long de l'œuvre. Les mots suffisent à troubler le lecteur. Celui-ci perçoit la gravité de la situation sans une fin tragique. 





La scène débute sur un plan poitrine (qui montre le haut du buste et la tête du personnage) du professeur Wenger. C'est le début de son discours. Les va et vient entre le professeur et la foule d'élèves montrent qu'il y a un réel échange entre eux. Cependant, le professeur reste sur l'estrade et domine la situation. C'est le leader de la Vague.
Les élèves, unifiés grâce à leurs chemises blanches, sur lesquelles on remarque l'emblème du mouvement, sont enfermés dans la salle. Le quadrillage sur les murs nous donne une impression d'isolement et d'enfermement tel une prison. Cela montre qu'ils forment un groupe à part et quelque part même, qu'ils sont pris au jeu, pris au piège, par cette expérience.
De plus, on remarque l'augmentation des plans poitrine sur le personnage de Robert. Il est en retrait, sur le côté de l'estrade mais le spectateur a l'impression qu'il pourrait bientôt agir et prendre une place plus importante dans la réunion. En effet, il observe la situation tendue  qui dégénère petit à petit. Les plans poitrine illustrent les émotions grandissantes des personnages.       
Plus tard dans la scène, Wenger et son discours sont mis en évidence grâce à un gros plan, filmé en contre-plongée. Ses émotions sont partagées par cet effet. Ses paroles sont lentes et saccadées et leur donnent un aspect solennel. Il utilise des mots forts pour montrer la gravité de la situation. Certains élèves se lèvent afin de montrer leur désapprobation. 
Lorsque tous les participants décident de quitter les lieux, Robert intervient. Avec son revolver, il menace ses camarades et ainsi, il prend un rôle plus important dans la tournure des évènements. Il hésite à tuer son professeur et tire finalement sur l'un de ses camarades. Les actions s'enchaînent alors très vite. 
Les principaux acteurs de cette manifestation se trouvent toujours sur l'estrade mais ils sont agenouillés près du blessé. Les autres élèves et même le professeur Wenger sont mis en situation d'infériorité par rapport à Robert. Même ceux qui étaient assis sur les chaises, se baissent encore plus, ils essayent de se cacher et de se protéger. 
Robert semble raisonné et abaisse son arme, en signe de renoncement. Les élèves et le professeur pensent que le danger est passé. On perçoit le soulagement sur les traits de leur visage. Brusquement, d'un geste franc et sec, il se donne la mort. Une scène "choc" qui émeut le spectateur et marque son esprit.
On voit la tristesse et l'inquiétude sur les visages, certains pleurent. Puis la caméra zoom sur Wenger, dont on n'entend plus que le souffle ; il réalise l'horreur de son erreur. La scène de la conférence prend fin sur un fondu au blanc qui permet une transition immédiate sur l'arrestation du professeur Wenger.    
La scène suivante est au ralenti pour que le spectateur ait conscience de l'atrocité des faits antérieurs. A travers le regard de Wenger, le spectateur découvre les conséquences tragiques de son acte jusqu'à ce qu'il entre dans la voiture. 
On voit défiler le paysage lumineux et verdoyant, qu'il voit sans doute pour la dernière fois. On a ensuite un zoom sur son visage terrifié. Il se remémore sûrement la semaine qu'il vient de passer et regrette d'avoir poussé l'expérience si loin. 



Extrait du livre, correspondant à la scène étudiée. 
[...] Lorsqu'il se plaça entre les deux écrans géants qu'il avait commandés au service technique un peu plus tôt, la foule se mit spontanément à clamer les slogans de la Vagye, debout devant les sièges, tout en exécutant le salut rituel.
"La Force par la Discipline !"
"La Force par la Communauté !"
"La Force par l'Action !" 
Face à eux, Ben resta immobile. Dès qu'ils eurent fini de réciter les slogans, il leva les bras pour demander le silence. Une fraction de seconde plus tard, le silence régnait dans la salle pleine de lycéens. Quelle obéissance ! pensa Ben, avec tristesse. Il balaya l'assemblée du regard, conscient que c'était probablement la dernière fois qu'il les captivait à ce point. Puis il commença:
"Dans un instant, notre leader national s'adressera à vous." [...]
[...] Les écrans étaient toujours bleus. Aucun visage n'apparut, aucun son ne sortit des enceintes. Dans la salle, les élèves commençaient à plisser les yeux et à échanger des murmures inquiets. Pourquoi ne se passait-il rien ? Où était leur chef ? Que devaient-ils faire ? Tandis que la tension monter dans l'auditorium, cette question tournaient et retournaient dans leur tête : que devaient-ils faire ?
De son poste sur la scène, Ben couva du regard cette marée de visages inquiets qui l'observaient sans ciller. Était-il donc vrai que la nature des hommes les poussait à chercher un meneur ? Quelqu'un pour prendre les décisions à leur place ? Manifestement, tous ces visages levés vers lui l'affirmaient. Telle était la responsabilité d'un chef : savoir qu'un groupe comme celui-là le suivrait n'importe où. Ben commençait à quel point sa "petite expérience" s'avérait bien plus sérieuse que ce qu'il avait imaginé. Ils étaient prêts à lui faire une confiance aveugle, à le laisser décider à leur place sans hésiter - ce constat l'effrayait. [...]
 [...] "Il n'y a pas de leader, c'est ça ?!"
Sous le choc, des élèves se tournèrent vers le protestataire tandis que deux gardes l'évacuaient. Dans la confusion qui s'ensuivit, Laurie et David parvinrent à entrer en douce par la porte ouverte.
Avant que les élèves aient eu le temps de comprendre ce qui venait de se passer, Ben reprit sa place au centre de la scène.
"Si, vous avez un leader!" Clama-t-il.
[...]
La salle résonna de hoquets et d'exclamations lorsqu'un portrait géant d'Adolf Hitler apparut. [...]
[...] "Vous vous croyiez si spéciaux ! reprit Ben. Meilleurs que tous ceux qui ne sont pas dans cette salle. Vous avez échangé votre liberté  contre une pseudo-égalité. Mais cette égalité, vous l'avez transformée en supériorité sur les non-membres. Vous avez accepté la volonté du groupe face à vos propres convictions, sans vous soucier de ceux qui en souffraient. Oh, certains  d'entre vous pensaient se contenter de suivre les autres, se disant qu'ils pouvaient rebrousser chemin s'ils le boulaient. Mais l'avez-vous fait ? L'un d'entre vous a-t-il seulement essayé ?" [...]
[...] Ben les regarda quitter la salle en même temps que les derniers ex-membres de la Vague. Lorsqu'ils furent tous partis et qu'il se crut seul, il soupira : "Dieu merci."Il était soulagé que son expérience se soit bien terminé et se réjouissait d'avoir toujours son poste au lycée Gordon. Il lui faudrait encore apaiser quelques parents en colère et autres collègues furieux, mais il savait qu'avec le temps il y parviendrait.
Il allait quitter la scène lorsqu'il entendit un sanglot. Appuyé contre l'un des téléviseurs, Robert pleurait à chaudes larmes. 
Pauvre Robert, pensa Ben. Le seul qui avait tout à perdre dans cette histoire. Il s'approcha du lycéen tremblotant et passa un bras autour de ses épaules.
"Tu sais, Robert, déclara-t-il pour lui remonter le moral, la cravate et le costume te vont bien. Tu devrais en porter plus souvent."
Malgré ses larmes, Robert parvint à sourire.
"Merci, Monsieur Ross.
-Qu'est-ce que tu dirais d'aller manger un truc ? Proposa Ben en l'entraînant au bas de la scène. Il y a deux ou trois choses dont j'aimerais qu'on discute."






Étude de la scène d'Into the Wild où l'Homme ne fait plus qu'un avec la nature.


♣  Un sentiment de liberté amplifié
Dans le roman, les scènes descriptives (ici celle du paysage) ne peuvent être mises en valeur : un livre à ses limites et on ne peut pas tout exprimer par les mots. C'est pourquoi nous pensons que cette scène reflette le sentiment de liberté et d'évasion. Sentiments que le roman ne peut, selon nous -malgré l'imagination- nous faire ressentir. 





L’absence de parole est masquée par la musique et le spectateur se laisse emporter par l'immensité du paysage. La caméra est constamment en mouvement, elle tourne autour du personnage. Au début, Christopher nous semble grand et imposant. Cette impression est crée par un zoom. Petit à petit, la caméra s'éloigne de Chris et laisse apparaitre la grandeur du paysage. On retrouve un contraste de "taille" : le spectateur se rend compte de la petitesse et de l'impuissance de l'Homme face à la Nature. C'est d'ailleurs elle qui décidera du sort tragique de Chris.

Malgré tout, Christopher lève les bras en signe de victoire. Il est seul face à l'immensité de l'Alaska, ce qui ne l'empeche pas de garder une certaine "supériorité". Cheveux aux vent, le jeune voyageur est en osmose avec la Nature. 

En outre, la musique qui parait calme et régulière lorsqu'elle débute, est en quelque sorte perturbée par le son d'un violon. C'est au moment où l'alto démarre que Chris lève les bras. Cette musique légère et fluide, du début, montre la sérénité du personnage principal au sein de la Nature. Le violon, qui dérange soudainement la quiétude de l'atmosphère, pourrait prévenir les spectateurs : ils peuvent s'attendre à un changement, voire un danger possible.

On peut penser que dans l'adaptation d'Into the Wild Sean Penn y glisse discrétement une vision baroque du monde, vision intemporelle. Ce mouvement concerne, entre autres,  le combat de l'Homme face à Dame Nature. Il se sent solitaire, perdu et décentré vis à vis de cette dernière. De plus, Christopher voit au-dessus des apparences. Il est persuadé que celle-ci cache quelque chose de différent de ce que l'on voit.  



Étude de la scène finale de Boy A.


♣  Un sentiment de compassion pour le personnage principal et  une impression de mal-être amplifié

Selon nous, la scène finale de l'adaptation cinématographique change quelque peu de celle du livre. Cependant, dans le roman comme dans le film, la fin reste tragique. C'est pendant la saison morte que Jack  se rend sur le quai de Blackpool ( ville côtière Britannique ) ...

On remarque tout d'abord le travelling suivant la marche de Jack, le personnage principal, le long du quai. L'on entend le bruit des vagues, venant  s'échouer sur la plage, des paroles indistinctes, peut être même quelques cris de mouettes, ainsi que quelques douces notes aiguës de piano. Sous un ciel clair et lumineux, Jack admire la vue.








Le ciel s'assombrit au fur et à mesure que Jack avance le long du quai. Des nuages gris assombrissent un peu la scène. La caméra se positionne dernière Jack et le suit, petit à petit. Des enfants tournent autour de lui et peuvent ainsi lui rappeler son enfance instable et tourmentée. Tout à gauche, nous pouvons remarquer une mère qui attrape son petit enfant à son l'approche, comme pour le protéger. Il doit se remémorer le crime qu'il a commis avec "Boy B" (le viol de la jeune fille puis son homicide volontaire). De nouveau, un travelling se fait vers la droite et on peut voir Jack de profil. Celui-ci boite toujours un peu mais continue son chemin vers le bout de la jetée.Il semble "irrésistiblement attiré par la jetée" (extrait pris dans le roman). Il va au sens inverse de tous les personnages qu'il croise. Il est comme un fantôme, personne ne s'occupe de lui. Le travelling suit de nouveau Jack, toujours de dos. Quand celui-ci arrive devant le carrousel il se retourne comme s'il ne voulait pas le regarder en face. Puis il reprend vite son chemin.
Ensuite, le travelling accompagne Jack et nous distinguons la mer, au bout de la jetée, de plus en plus nette. Le jeune homme avance toujours vers son but fatal. Le ciel s'assombrit, le personnage semble pensif, il est en plein questionnement intérieur.
Au bout de la jetée, Jack a une hallucination et voit apparaître Michelle, surnommée la baleine blanche. Seuls les deux personnages sont nets. A l'inverse, le paysage autour d'eux est flou. Lorsqu'ils discutent la caméra reste fixe. Par un champs contre-champs, le spectateur voit successivement Michelle et Jack. Il partage les mêmes sentiments que les deux personnages transmettent, dans leur regard, dans leurs mots.
La discussion se clôt lorsque Michelle demande au jeune homme s'il part du même coté qu'elle. Il répond que non. Pourtant le quai n'a pas d'autre issue. Le jour commence à se coucher lorsque l'on voit Jack assis sur un transat. Il ressort le dessin que lui avait fait la petite fille pour le remercier de l'avoir sauvée. La caméra effectue un zoom sur le dessin, puis sur la tête de Jack.
Il se remémore ensuite les messages vocaux qu'il a laissé à deux de ses amis, les seules personnes l'ayant aidé. Le sentiment de désespoir est amplifié par la musique triste lorsque l'on entend le message que Jack a laissé à Terry. Plongée sur Jack, on le voit d'en haut. Il garde les yeux fermés et il verse quelques larmes. Le personnage se trouve de l'autre coté de la barrière de sécurité, au bout de la jetée. La caméra descend ensuite vers la mer jusqu'à ne distinguer plus qu'une eau sombre.
Lorsque l'on entend le message vocal laissé à Chris, on découvre Jack qui pleure : "Tu te souviens de la petite fille ? Tu te souviens qu'on a sauvés cette petite fille mon pote ! Souviens-toi de ça".  Par un champs contre-champs, on voit alternativement l'eau sombre de la mer et le visage accablé de Jack.  

Jack verse une dernière larme qui clôture le film. Par un fondu au noir, le générique apparaît. Une note de piano grave, qui reste en suspend un petit moment, laisse deviner un dénouement tragique. Tout au long du visionnage, nous pouvons supposer ce destin. Le personnage se donne la mort, en sautant dans la mer froide et calme.



♣ Extrait du livre


"Il est enfin arrivé au bord de la mer.
La gare donne sur une route, le genre de route, qui inévitablement, mène quelque part. Qui vous incite, même si votre jambe proteste à chaque pas, à accélérer l'allure. Qui sent le sel et le sable, les chips et les sandwichs. Le graillon aussi, les mauvaises clopes et la barbe à papa. Le genre de route qui semble aller dans une seule direction, même si la circulation est à double sens. Tout va vers le bas, sur des routes pareilles. Tout va vers la mer.
Cette route là amène Jack sur une promenade, au bout de laquelle s'étend une jetée. "North Pier", lit-il sur une pancarte. Pour lui, c'est le signe d'un nouvel exploit : il a enfin atteint le nord d'une certaine manière. A la façon dont l'air lui emplit les poumons, il a l'impression d'avoir fait semblant de respirer jusque-là. L'air devrait toujours avoir cette qualité. C'est ainsi que le concevait celui qui l'a inventé, forcément.
Sur la gauche, Jack peut voir la tour de Black-pool. Non, à vrai dire, ce n'est pas qu'il peut la voir, mais plutôt qu'elle s'impose à sa vue. Elle exige l'attention. Immense, toute de poutrelles sombres, impunément phallique. Aime-moi ou va te faire foutre, proclame-t-elle.Comme tout à Blackpool, apparemment. Diseurs de bonne aventure, stands de fish and chips, casquettes et T-shirts ornés de slogans. Mais Jack est irrésistiblement  attiré par la jetée. C'est pour ça qu'il est venu.
Il longe une galerie de jeux qui fait de la réclame pour ses toilettes gratuites et d'où s'échappe le bruit d'une cascade de pièces de monnaie.
Un bruit si assourdissant que Jack le suppose diffusé par des haut-parleurs. A moins que tout ne soit amplifié a Blackpool? La jetée elle même semble se déployer sur des kilomètres. On peut même prendre un petit train pour aller jusqu'au bout. Mais en dépit de sa jambe douloureuse, Jack tient à la parcourir à pied.
Il passe devant un castelet "Punch and Judy" abandonné à la morte-saison. Il n'a jamais vu le spectacle mais il connaît les thèmes : difformité, violence domestique, infanticide. Parfait pour les gosses, quoi.
La mer, visible par les interstices des planches, s'agite en dessous de Jack. elle l'appelle, frappe à la porte, l'invite à jouer avec elle. Sa mère répondrait qu'il n'est pas là, elle dirait que c'est trop dangereux. Mais voilà, sa mère est partie. il est tout seul à la maison. en tout cas , c'est vrai que l'air marin est revigorant. Son genou guérit un peu plus à chaque pas, Jack en est certain. Les plaies de son âmes cicatrisent, son humeur s'allège. il ne s'agit plus de faire un choix à présent. Non, il s'agit de renoncer au choix. De laisser à la mer le soin de décider à sa place. Il arrive à un certains moments qu'on ne veuille plus rien du tout. Plus rien, nada, que dalle, zéro. Il comprend soudain que ce ne sont pas les vides qui posent problème. Non, c'est le contenu. C'est ce qu'on met qui crée les trous. pour une fois, il aimerait se sentir complètement dépouillé. Réduit à sa plus simple expression, comme Jésus en fil de barbelé le jour de l'enterrement de sa mère.  Une représentation  qui lui avait paru cruelle sur le moment, mais dont il perçoit aujourd'hui toute l'authenticité.
Des bateaux sont amarrés à des flotteurs, à une certaine distance de la jetée. Des petits hors-bord blanc . il y a sûrement des couvertures à bord, peut-être aussi des provisions. S'il réussit à nager, se dit Jack, il essaiera d'en rejoindre un. Il a appris comment faire démarrer un moteur en bricolant les fils de contact. De plus, ces canots doivent être faciles à manœuvrer. Et il ne risque pas d'avoir un accident ; il a toute l'immensité de l'océan pour apprendre à conduire, pour réfléchir à une destination dans le monde. Rien ne l'empêchera de mettre le cap sur la France, par exemple. De mettre le cap n'importe où. On ne le rattrapera jamais s'il a un bateau.
Et si il coule, eh bien c'est que les choses ne devaient pas se passer ainsi. En cette magnifique journée au bord de  la mer , il se sent libre. Délivré des remords et de la tristesse. Il a connu l'amour, il a eu un travail, il s'est fait des amis, il a découvert le sexe, il a sauvé une vie. Il ne pourrait y avoir d'endroit ou de moment mieux choisi pour mourir.
On dit que la noyade, c'est la meilleure façon de partir. Si on doit s'en aller autant choisir cette solution- là. Il se voit recouvert d'eau salée, descendant en vrille vers les fonds sableux. Pour peu que les vagues aient un goût aussi agréable que leur odeur, ce ne sera pas si terrible. Oui, c'est sûrement la meilleure façon.
Il escalade la grille au bout de la jetée et fait passé en premier sa jambe blessée de l'autre côté. Il se dépêche, de crainte qu'on ne l'aperçoive. Il ne veut pas qu'on puisse le sauver ou l'empêcher d'atteindre son but. Il a déjà repéré son bateau ; ce n'est pas le plus grand ni le plus luxueux, mais  c'est celui qui lui plaît le plus. Celui dans lequel il s'imagine blotti.
Les baskets le gêneraient dans sa tentative pour nager. Il refuse de donner ainsi l'avantage à la noyade. Alors, il s'en débarrasse à coups de pieds. D'abord une puis l'autre. Il les regarde s'enfoncer dans la mer. Avant de tortiller ses orteils pour ôter  aussi ses chaussettes. Elles mettent plus longtemps à disparaître sous la surface, lui donnant une idée plus précise de la profondeur réelle. Mais il est sûr de survivre à la dégringolade elle même. C'est l'asphyxie qui risque d'avoir sa peau.
il s'immobilise sur le dernier barreau de la grille, savourant le moment où il doit rassembler ses forces. son élan vers le large le prend presque au dépourvu. Pas de compte à rebours. Il a sauté, c'est tout.
C'est un bond magnifique, il n'en doute pas. Sur fond de soleil. Loin de l'ultime avant-poste d'un pays qui le hait. Bien au-dessus de la jetée. Plus haut qu'il ne l'était au départ.
et puis comme il le pensait, il arrive à ce moment, après l'ascension mais juste avant la chute, où tout s'arrête. Il ne tombe pas, il ne vole pas non plus. Durant un instant, le temps semble suspendu. Bien sûr, ça ne dure pas aussi longtemps que dans les dessins animés. Peut-être moins d'une seconde. Mais c'est suffisant pour se demander, les bras tendus et les pieds serrés, s'il ne vaudrait pas mieux cesser de lutter une bonne fois pour toutes."